Femmes de l’ombre, Femmes de lumière

« Nous sommes la moitié du ciel, et même un peu plus ». Christiane Taubira.

« Qu’est-ce qui a fait de vous la femme que vous êtes aujourd’hui ? » Chacune a tenté d’apporter, en une phrase courte, une réponse qui lui correspond le mieux. Parce que toutes, peu importe le parcours personnel ou professionnel, sont des femmes fortes, des femmes inspirantes.

Diaporama sonore – « Femmes de l’ombre, femmes de lumière » (2021).

Julien

Julien. Série 2020. Photo n°1/7.
Julien. Série 2020. Photo n°2/7.
Julien. Série 2020. Photo n°3/7.
Julien. Série 2020. Photo n°4/7.
Julien. Série 2020. Photo n°5/7.
Julien. Série 2020. Photo n°6/7.
Julien. Série 2020. Photo n°7/7.

Julien a grandi dans une famille où l’homosexualité n’était pas abordée. Comme s’il y avait un verrou sur les idées de différences. Une vision hétéronormée qui fait qu’il n’a jamais eu l’ouverture qu’on aimerait tant avoir : jamais on ne lui a dit que ce n’était pas «mal». Qu’on pouvait être différent.
Avec le recul, il a réalisé que cela a très certainement compliqué sa vie et la construction de sa vie amoureuse. Ce n’était pas un sujet. Ce n’était pas une question. Il était aimé, il n’était pas triste. Il ne savait juste pas.

Julien s’est construit en suivant le schéma classique dans lequel il avait grandi : «l’hétéronormativité». On lui demandait parfois s’il avait une copine. Une question qui n’ouvre pas le champ des possibles et a complètement l’effet inverse finalement.

Rencontrer son ex-compagnon au travail, voir une personne vivre son homosexualité spontanément, cela rend la relation «normale» d’après Julien. Sa timidité, cette réserve qui était là, en lui, a alors pu être gommée par cette rencontre. Il s’est dit «Wow, on peut bien le vivre en fait.» Julien est devenu confiant par cette rencontre en partie : il a puisé sa confiance dans la confiance de l’autre. Cela lui a permis de se redécouvrir.

Julien était très timide. Très renfermé. La découverte plus tard, a tout chamboulé : pour lui, il n’y a plus de barrière. Il n’y a plus de frein. Julien se connaît désormais. Aujourd’hui, il ne se pose plus de question, il trouve ça même génial. Il adore l’idée de pouvoir être différent, surtout avec une thématique qui n’est pas encore acceptée. Se montrer, c’est pouvoir permettre à d’autres de ne pas le faire. C’est montrer que cette différence existe, simplement.

Ce chat, que j’ai photographié avec Julien, c’est le symbole de son histoire avec son compagnon Jean-Hugues. Il rencontre ce dernier alors qu’il commençait à travailler à Rennes, il y a quelques années à peine. Un soir ils boivent l’apéro, le chat est là. C’est le chat de Jean-Hugues. Le courant passe aussi bien entre les deux hommes qu’entre Julien et le chat. L’animal l’avait adopté et les deux hommes s’en sont rendus compte. Quelque chose s’est passé ce soir-là. Cela tombait sous le sens pour moi, voyant cette relation entre Julien et ce chat, de l’aborder dans la série.

Je suis venue pour parler avec Julien de son homosexualité et monter une série. Je n’ai découvert l’histoire de ce chat et de ce lien si fort entre eux qu’en arrivant pour les photos. Nous avons cherché ensemble comment traduire ses mots en images, nous avons longuement parlé, enfin je l’ai surtout écouté,
et soudain c’était l’évidence. J’ai alors abandonné l’idée d’une quelconque mise en scène. J’ai arrêté de chercher à guider Julien. Les photos se sont faites dans la spontanéité. Je cherchais à capter les mots de Julien sur sa vie, son identité, sa vie amoureuse, à travers la captation de ses gestes, dans mes choix de cadres, de lumières, de couleurs.

Julien, je l’ai rencontré il y a quelques mois, courant 2019. C’est comme si je le connaissais depuis des années. Avant même qu’il ne se livre à moi. C’est très étrange à dire, mais il est de ces personnes à qui l’on se sent connecté.e. Je ne sais pas pourquoi, mais nos routes étaient faites pour se croiser.

En lançant ce projet de série avec lui, je n’imaginais pas dans quoi je m’embarquais.

La découverte de moi-même.

Diaporama sonore.

Cécile

« L’amour fait songer, vivre et croire. Il a pour réchauffer le cœur un rayon de plus que la gloire, et ce rayon, c’est le bonheur. »
Victor Hugo.

 

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Cécile, c’est ma grand-mère paternelle. Ma « bonne-maman ». Elle garde précieusement cette boîte métallique, qu’elle alimente régulièrement en gâteaux secs qu’elle distribue quand ses petits-enfants lui rendent visite. Il y a en a plein des boîtes chez elle, des boîtes métalliques anciennes, de famille ou chinées, toujours pleines de gâteaux. Elle est comme ça, toujours prête à recevoir de la visite.

Cette boîte avec laquelle elle pose, elle date de 1937.

Née en 1924, c’est à 8 ans qu’elle rencontre pour la première fois mon grand-père, Michel. Il a 12 ans, leurs parents se connaissent et ont décidé de faire rencontrer leurs deux familles, leurs enfants. Dès que leurs regards se sont croisés, ils ont su. A 12 ans, mon grand-père a annoncé à ses propres parents que c’était décidé : il épouserait Cécile. En 1937, de passage pour les vacances, Michel, mon grand-père, alors âgé de 17 ans, se rend chez les parents de ma grand-mère, Cécile, qui elle en a 13. Il lui a apporté une boîte pleine de bonbons. Une boîte ronde, métallique, sur laquelle sont représentés deux amoureux en gondole. Il était romantique, c’est ainsi.

Ils se marieront peu avant la fin de la Seconde guerre mondiale.

Le 10 octobre 2007, ce père de famille de 13 enfants, marié 62 ans à ma grand-mère, s’est endormi pour toujours. Aujourd’hui, je sens qu’il n’est pas vraiment parti. Ma grand-mère s’adresse à lui dans ses prières, c’est vrai, mais elle vit chaque jour comme s’il était encore là, tout près. Elle a 94 ans et sait qu’il est là quelque part, ça lui donne de la force. Elle est entourée de la famille, de ses nombreux enfants et petits-enfants, mais rien ne comblera ce vide depuis le départ de son Michel. C’était l’amour de sa vie. Sa vie quasi toute entière, depuis ses 8 ans. Il était sa moitié, son tout.

Elle l’aimait et l’aime encore si tendrement. Il n’y a qu’à voir le regard qu’elle pose sur cette boîte. Cette boîte qui était le début de tout. Le début de sa vie avec l’homme qu’elle aimerait pour toujours et qui l’aimerait en retour. Le début de sa vie de femme puis de maman. Et il n’y a qu’à voir sa façon de regarder cette chaise vide à ses côtés, pour imaginer, comme on peut, ce qu’est le poids de l’absence de l’être aimé après une vie entière passée la main dans la sienne.

Cette série photographique, c’est un hommage. Un hommage à mes grands-parents. Un hommage à l’amour. A leur amour. Le plus doux, le plus sucré, et le plus fort aussi. Celui qui fait tout affronter, gravir toutes les montagnes, sécher toutes les larmes. Ce rayon de soleil persistant même dans les jours les plus sombres. Ce rayon de soleil qui brillera même si l’Autre n’est plus là.

Cécile (2019)

Léo.

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Ce portrait en onze images est la première partie de mon projet, dont le nombre final de volets n’est pas encore fixé. Je n’en suis qu’à l’introduction. Tout est parti de Léo. Cette série raconte le jour où la photographie m’a faite retrouver mon frère.

Léo. Troisième d’une fratrie de cinq, je l’ai vu grandir sans jamais savoir où se mettre. C’est l’enfant du milieu. Celui avec qui on joue puis qu’on jette, celui qui n’est ni le grand ni le petit. J’ai vu Léo se refermer sur lui-même au fil du temps. Pendant des années il ne m’a plus adressé un mot ou un regard. Ce n’était pas personnel, il était comme ça avec tout le monde. Aujourd’hui, quand il me parle, il tient sa tête vers moi mais ses yeux ne croisent jamais les miens. Pour se dire bonjour, on se tape dans la main.

(…)

Je suis partie trois ans pour mes études ; je suis rentrée il y a trois mois. Quand j’ai vu ce grand garçon de 18 ans le visage figé, les cheveux dans les yeux, je me suis dit qu’il fallait que je l’accompagne. Je devais lui tendre la main pourvu qu’il l’attrape. Depuis des années on essaye de le faire parler(…), moi j’ai décidé de l’écouter et l’observer. Ensuite, comme un psy prendrait son stylo, j’ai pris mon appareil photo. Je voulais écrire son histoire pour qu’il puisse s’y confronter.

(…)

Sans que je ne demande quoi que ce soit, au fil des photos Léo s’est détendu. Il avait confiance en moi. J’ai lu dans ses yeux qu’il était de retour.

PUBerté

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Ce projet photographique a pour but de mettre en avant la sur-abondance des publicités sur nos écrans domestiques. Je me suis souvent demandée si, en regardant la télévision, nos yeux percevaient plus d’images publicitaires que d’images issues du programme que nous avons sélectionné. Avant ces prises de vues je pensais, à tort, que j’étais libre de regarder ce que je voulais. On trouve là le sentiment d’une liberté mangée par la publicité.

Cette série participative fait suite à une annonce sur Facebook dans laquelle j’ai demandé des avis sur la publicité à la télévision et/ou sur les écrans domestiques. Les propos ont ensuite été intégrés aux prises de vues sous forme des sous-titres visuellement proches des diffusions en « VOST ».

Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part

 

J’ai décidé de faire une série de photographies à partir de cette phrase d’une nouvelle d’Anna Gavalda, Permission, dont le titre du recueil est tiré : « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. »

« Quand j’arrive à la gare de l’Est, j’espère toujours secrètement qu’il y aura quelqu’un pour m’attendre. C’est con. J’ai beau savoir que ma mère est encore au boulot à cette heure-là et que Marc est pas du genre à traverser la banlieue pour porter mon sac, j’ai toujours cet espoir débile. Là encore, ça n’a pas loupé, avant de descendre les escalators pour prendre le métro , j’ai jeté un dernier regard circulaire au cas où il y aurait quelqu’un… Et à chaque fois dans les escalators, mon sac me paraît plus lourd. Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part… C’est quand même pas compliqué. » C’est un réflexe que j’ai très souvent, que ce soit en descendant du tram ou à la gare. Je regarde autour de moi, je prends mon temps, en espérant que quelqu’un sera là et me dira « hey je t’attendais justement ! ». J’ai essayé avec cette série de photographies de laisser s’exprimer mes sentiments, pour peut-être essayer de comprendre ce besoin que j’ai de regarder toujours si quelqu’un est venu pour moi. Pas venu nécessairement pour me dire quelque chose en particulier, mais plutôt pour m’aider à me tenir debout, et ainsi me sauver d’une possible noyade. C’est pour cela que j’ai pris plusieurs photo en bord de mer. La mer m’inquiète depuis toute petite, c’est sûrement à cause de cette impression de vide que me procurent les fonds marins. Et ce siège vide, c’est un siège marquant l’absence, cette absence que je constate chaque fois que je descends d’un transport en commun. Le tram est souvent bondé, le train aussi. On y voit plein de gens, mais ils ne pensent qu’à une chose : se sauver d’ici pour rentrer à la maison ou aller retrouver quelqu’un. Et moi, j’espère toujours qu’il y aura quelqu’un justement qui ne partira pas une fois sur le quai, tout simplement parce qu’il m’attendait, pour se sauver avec moi.
Cette personne, qui m’attendrait, pourrait être n’importe qui ; c’est pourquoi sur mes photos son visage est masqué. C’est aussi pour cela que j’ai utilisé le noir et blanc plutôt que la couleur : je ne veux pas caractériser une personne précise. Elle pourrait être vêtue de n’importe quelle manière, de n’importe quel coloris, avoir les cheveux de n’importe quelle teinte, pourvu qu’elle occupe ce siège, cette place, qui est éternellement vide.

Habeen

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Pour cette série photographique, j’ai décidé de mettre en image le cycle du sommeil. Mes photos suivent ainsi une narration linéaire, partant de la lumière extérieur qui s’allume à la nuit tombée, pour aller vers un sommeil agité que le personnage ne peut pas contrôler, les lumières « agitées » venant manifester cette perte de contrôle sur les événements. Enfin, le personnage est allongé de tout son long, serein. D’autre part, le titre signifiant « nuit » en somali est une référence personnelle à mes origines maternelles.
Les photos des lumières de la ville la nuit sont prises de manière à ce qu’elles semblent s’échapper de leur support. J’ai d’abord eu cette idée en imaginant que tout ce que l’Homme veut contrôler le jour reprend sa liberté la nuit. Puis j’ai mis cela en relation avec le fait que, pendant notre sommeil, nous ne pouvons pas intervenir sur les événements que notre inconscient nous fait vivre. Ma deuxième photographie de lumière adopte une forme circulaire comme pour indiquer l’idée d’un cycle dans lequel nous nous engageons. Par ailleurs, les lumières se mettent en mouvement et prennent progressivement de la place dans le cadre tout comme le personnage va vers un sommeil agité et profond. Aussi, les photos des lumières jaunes/orangées sont inspirées de la peinture. J’avais envie que visuellement les lumières prenant vie, et envahissant le cadre, aient l’air de coups de pinceaux, et la couleur est là pour renforcer l’idée de vie, de dynamisme. L’envie des photos de nuit m’est venue du travail de Travis Burke, photographe actuellement dans un roadtrip sponsorisé par la marque GoPro. Ses clichés sont loin de mes travaux, mais ce sont eux qui m’ont inspirés pour donner une autre atmosphère à l’image que celle de la réalité.
Les photos de la jeune-femme endormie ont été prises, quant à elles, à l’insu du modèle. Je voulais que la pose soit naturelle, et que mon modèle soit réellement en train de rêver pendant que je le photographiais. Ainsi, la personne ne réfléchit pas à ses positions et ne joue pas la comédie. Ce procédé m’a été inspiré du travail de Sophie Calle, qui a notamment pris des personnes en photo dans la rue sans qu’elles ne le sachent. On se retrouve donc ici dans l’intimité du personnage tel un voyeur. D’autre part, mes photos de cette jeune-femme endormie sont en noir et blanc et ont une apparence granuleuse à la fois en référence à ces photos de Sophie Calle, mais aussi pour mettre en avant l’idée que mes photos sont des photos volées : il y a du grain parce que je n’ai pas utilisé d’éclairage d’appoint. Il n’y a pas de mise en scène et la prise de photos a eu lieu dans un grande obscurité, légèrement corrigée numériquement ensuite. L’imperfection technique de l’image était donc un parti pris.